Conception : au coeur des Chroniques (partie I) 30/06/2016
par Thomas Robert
Dans cette série d'articles, je reviens sur les réflexions et les choix qui ont amené les Chroniques Galactiques à leur état final, tel que parues dans les pages de Casus Belli. L'écriture de ces lignes a commencé un peu comme un carnet de route "personnel" et suite à des discussions au sein de l'équipe pendant la phase de gestation du projet. J'espère qu'il aura un intérêt pour les MJ qui voudront adapter les Chroniques Galactiques (ou même CO).
Lorsque je me porte volontaire pour réaliser une adaptation space-opera des Chroniques Oubliées, je ne suis pas un spécialiste du système, loin de là. Mais j'ai la conviction que CO est un bon compromis qui pourrait donner quelque chose d'assez similaire à la première édition de Star Wars d6 : un jeu simple à prendre en main, basé sur un référentiel solide, qui permette de rapidement commencer à jouer. Je bénéficie aussi largement du travail de Laurent (Kegron) sur les différentes incarnations du jeu, et notamment les Chroniques Contemporaines. Ne reste plus qu'à s'y mettre...
I. L'univers
Exploration des genres
La première étape est de bien définir le contour de l'univers de jeu. Certaines déclinaisons de CO sont naturellement associées à un genre très spécifique : l'original à l'heroic-fantasy, COCY au cyberpunk. Chroniques Contemporaines propose pour sa part un éventail plus large, depuis les jeux d'enquête jusqu'au contemporain fantastique. Le space-opera est un genre qui peut à la fois être très restrictif ou très large, selon l'interlocuteur et la classification employée. Parce que je ne souhaitais pas me laisser enfermer dans un sous-genre, et parce que je préfère les mondes relativement ouverts, j'ai rapidement opté pour la définition la plus large possible du space-opera, incluant d'autres sous-genres de la SF. J'avais envie que le jeu permette d'évoluer dans des univers différents, depuis la SF la plus débridée jusqu'à des univers flirtant avec la hard-science.
Il y a toutefois des genres que j'ai laissés immédiatement de côté, en premier lieu desquels le post-apocalyptique et le voyage dans le temps. Selon moi, ce sont des genres très forts (un peu à la manière du cyberpunk), avec lesquels la cohabitation n'est pas toujours très simple. J'ai trouvé préférable de ne pas les traiter, et laisser sans doute le post-apocalyptique pour une autre déclinaison de CO. Peut-être une version à mi-chemin entre le contemporain et la SF, avec des gimmicks du système pour gérer la notion de survie, de débrouillardise et de déliquescence de l'humanité ?
Je souhaitais aussi dès le début permettre le maximum de compatibilité avec les autres incarnations de CO. D'une part, parce que la SF joue souvent aux frontières entre plusieurs genres (qui a dit science-fantasy ?). D'autre part parce qu'une version cyberpunk, un sous-genre de la SF, était en cours de préparation. Et même si ce genre est assez spécifique pour mériter ses propres jeux et ses propres univers, il me semble que le principe même des Chroniques Oubliées aurait été mis à mal par des incompatibilités majeures entre deux types d'univers aussi proches. Une des forces de CO, selon moi, est son côté "boîte à outils", et même si ce n'est pas le genre de jeux que je pratique en général, je n'ai rien contre les mélanges improbables type "des anges et des démons dans l'espace" (hommage à Stella Inquisitorus inside).
J'ai donc commencé par lire et étudier les différentes versions de CO dont je disposais : principalement la version fantasy et la version contemporaine à ce stade, puis plus tard la version cyberpunk. Intuitivement, j'ai eu la certitude que l'approche de Chroniques Contemporaines, moins archétypale et plus ouverte sur des sous-genres, conviendrait mieux. J'ai exploré plusieurs pistes dans de nombreux aspects du jeu, mais l'option d'un pool de voies relativement souples, non dédiées à des archétypes forts, s'est rapidement imposée d'elle-même. Chroniques Contemporaines allait servir de base de travail.
Exploration des thèmes
Les thèmes de la SF sont variés : aventure, exploration, intrigues, guerre, diplomatie, écologie, sociologie, humanisme, etc. Je souhaitais conserver cette variété, et ne pas imposer un ou plusieurs thèmes en particulier. Là encore, l'approche correspondait plus à celle des Chroniques Contemporaines, avec des profils relativement "larges" et une plus grande simplicité pour en créer de nouveaux. En privilégiant des archétypes forts comme dans un univers cyberpunk, on restreint forcément le cadre de jeu. Ça a un intérêt en terme d'ambiance et de convergence entre univers et système, mais je pense qu'au final un univers SF en aurait souffert, au sens qu'il aurait été plus restrictif.
Par exemple, pour un univers à la Star Trek ou Honor Harrington, les profils auraient sans doute été des variations d'un personnel d'équipage militaire, avec des voies spécialisées dans certains aspects très spécifiques de la vie d'un vaisseau ou d'une base spatiale. Certains des profils des Chroniques Galactiques peuvent tout à fait convenir à ce genre de thématique (l'ingénieur, le mécano, le pilote, etc.). Mais d'autres profils disponibles dans CG n'auraient clairement que peu de place dans un univers axé sur la thématique militaire. J'ai donc opté pour une solution qui permette de jouer dans ce type d'univers sans y être dédiée.
Toutefois, j'ai dès le début réfléchi à un aspect particulier du Space Op', les vaisseaux. On peut faire de la (très bonne) SF sans jamais vraiment mettre les pieds sur un vaisseau spatial. C'est toutefois un aspect central de la plupart des œuvres de space-opera, et je souhaitais qu'il en soit de même avec Chroniques Galactiques. Cela a eu un impact considérable sur le jeu, au final. Car je me suis fixé très vite deux contraintes (dont on verra les conséquences techniques un peu plus tard).
- Une première de simplicité. Je souhaitais que le système pour gérer les vaisseaux (notamment en combat) soit complètement similaire, et repose sur les mêmes piliers, que le système servant à gérer les actions des personnages. Cela afin qu'il soit aussi facile à prendre en main et aussi uniforme que possible.
- Une seconde de jouabilité. Trop souvent dans des parties de jeux de SF, que ce soit en tant que joueur ou en tant que MJ, je me suis retrouvé avec une fraction du groupe jouant l'affrontement entre vaisseaux, et les autres rongeant leur frein en attendant la fin de l'aparté. Même pour des vaisseaux de petite taille, je voulais donc permettre une implication maximale de tout le groupe.
Même si je restais ouvert à d'autres thèmes et d'autres angles d'attaque, j'ai voulu en priorité un jeu qui, dans l'esprit, soit proche d'un mix de Firefly et de Star Wars. C'est à dire un équipage de personnes diverses embarquées dans une même aventure à bord d'un vaisseau qui parcourt la galaxie. C'est notamment pour cela que je me suis concentré sur une certaine échelle au niveau des combats spatiaux, des chasseurs et des transports. Tout en prévoyant toutefois d'autres cas au niveau des règles.
Ce que l'on peut, et ce que l'on ne peut pas...
Au cours des discussions initiales avec Laurent, j'ai essayé d'explorer plusieurs voies de développement possibles, et de "tester les limites" de ce qu'il était acceptable de faire sur la base du système de CO : enlever complètement la notion de profils, avoir un système de compétences explicite, explorer d'autres concepts via les voies, en arriver à un dé de vie unique pour tous les représentants d'une race donnée, etc. Globalement, ces premiers échanges m'ont permis d'éviter de me disperser, et ont établi des limites relativement claires sur ce qu'il était possible (et/ou souhaitable) de faire, ou non. Je reviendrai plus tard sur certaines de ces discussions et sur les conséquences pour le résultat final...
Développer une nouvelle incarnation d'un jeu existant, ce n'est pas tout à fait le même exercice que créer un nouveau jeu à partir de rien. Le jeu existant sert à la fois de guide et de barrière, d'impulsion initiale et de limite. Une limite qui peut parfois sembler frustrante, surtout quand en plus le jeu est le fruit de choix effectués par d'autres. J'avoue qu'au cours des discussions initiales, j'ai parfois eu le sentiment que je ne parviendrais pas à produire un jeu auquel j'aurais envie de jouer en suivant ces contraintes. Cela dit, ce sentiment s'est très rapidement atténué puis a disparu complètement. Cela tient bien sûr en partie à Laurent, qui m'a laissé une grande marge de manœuvre, mais aussi je pense à la grande souplesse que permet le système de CO. Certaines des questions du début ne me viendraient plus à l'esprit aujourd'hui.
D'autres limites sont venues du format. Mine de rien, le format magazine est relativement contraignant, en terme d'espace et de manière de présenter les choses. Le jeu a été divisé en trois parties. La première partie a été relativement simple à "calibrer", grâce au travail de Laurent sur les Chroniques Contemporaines, dont j'ai repris le chemin de fer en y ajoutant simplement la partie sur les vaisseaux. Pour les deux parties suivantes, j'ai du partir d'une feuille un peu plus blanche. Et c'est là que des choix plus importants ont du être faits. Car si mes choix initiaux rendaient évident quoi mettre dans la première partie, il n'en était pas forcément de même pour la suite. Le choix final s'est porté sur les E.T. et les pouvoirs psis dans une deuxième partie, puis sur les robots, les androïdes et les posthumains dans la troisième partie. Mon impression est que cela couvre un grand nombre de possibilités, peut-être même la majeure partie de ce dont j'ai l'habitude dans mes propres sessions de jeu.
Parmi les choses "laissées de côté" mais auxquelles j'ai réfléchi pendant l'écriture, on trouve certains autres aspects majeurs du space-opera. Voici une liste, avec quelques justifications du pourquoi ils ont été laissé de côté pour l'instant.
- Le bidouillage et l'amélioration des vaisseaux, un système de création de vaisseaux, des règles pour la gestion du cargo ou de la contrebande, des règles de dégâts spécifiques et d'avaries, etc. Bref tout ce qui aurait permis d'approfondir encore la gestion du véhicule et du lieu de vie principal des PJ.
Cela m'a semblé un aspect "avancé" et peut-être un peu trop spécifique à un type de space-opera, et qui en tant que tel n'était pas indispensable. Enlever cette partie m'a aussi permis de conserver un certain équilibre en faveur des personnages au centre de l'histoire, plutôt que leur vaisseau.- La gestion des vaisseaux plus gros (type vaisseaux de guerre) et des batailles de grande ampleur, que ce soit avec les PJ en position de commandement ou comme simples pions dans la bataille. Quelque chose de primordial dans des univers plus militaires et centrés sur la guerre. Ça aurait pu aussi inclure d'autres formes de guerre, comme les méchas.
Là encore, quelque chose d'indispensable pour certains sous-genres, mais complètement inutile dans d'autres. J'ai donc privilégié une SF plus généraliste.- Une exploration des dangers spécifiques à un univers de space-opera, depuis les dangers connus (radiation, gravité, etc.), jusqu'à des trucs comme un bestiaire ou équivalent pour des créatures spatiales.
Pour le bestiaire, je souhaitais un univers centré sur les humains, sans danger exotique de type ver géant stellaire ou mynocks. Le laisser de côté m'a donc semblé évident. Que ce soit pour les créatures ou les dangers plus connus, je me suis dit assez tôt qu'il serait possible de les décrire dans les scénarios, au moment de les mettre en scène (ce qui est d'ailleurs fait pour certaines créatures dans le scénario 3 de la campagne, par ex.). Toutefois, pour les dangers habituels d'un univers de space-opera, j'avoue que j'ai des doutes sur la pertinence de mon choix. Avec un peu de recul, je pense que j'aurais du prévoir un peu d'espace à ce niveau dans la première partie, au niveau des fondamentaux du système.- Des conseils et des tables/règles afin de créer facilement de nouvelles planètes et de nouveaux systèmes stellaires.
À ce niveau, ma réponse s'est située à deux niveaux. Tout d'abord, en partant sur notre propre Voie Lactée, c'était un moyen selon moi de "baliser" l'univers et d'aider les MJ en leur permettant de s'inspirer de la réalité (noms et aspects des étoiles, paramètres connus des systèmes, etc.). Ensuite, dans la deuxième partie de la description de l'univers, j'ai choisi de fournir une description assez détaillée d'un grand nombre de systèmes, basée en grande partie sur des données réelles.En plus de ces aspects, d'autres points liés au système lui-même ont été laissés de côté, tels que les voies de prestige. La troisième partie, avec les posthumains, propose certaines choses qui amèneront sans doute de la variété parmi les personnages, mais tout comme pour les Chroniques Contemporaines, CG manque d'un panel de voies de prestige. Je pense que ce choix découle naturellement du côté plus "ouvert" des voies et des profils dans CC et CG. Toutefois, avec les voies raciales (et éventuellement les voies d'amélioration disponibles dans la troisième partie), on parle tout de même d'un développement possible sur 15 à 19 niveaux, ce qui me semble déjà satisfaisant pour un jeu basé sur le système d20.
Fin de cette première partie, sur les grands axes et choix de départ. Par la suite, j'explorerai les choix faits en matière de création des personnages, de mécaniques, puis au sujet de la campagne qui accompagne le jeu. À la prochaine !
Commentaires 12
le 30/06/2016 à 07h28
le 30/06/2016 à 00h33
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