Changelins dispo et interview de Sophie Dabat 18/10/2010
Evolution, le premier tome de Changelins, est le second roman fantastique disponible en librairie et publiée dans notre collection À dé couvert. Il vous invite à entrer dans la vie de Syrine, une jeune adolescente en proie à une étrange transformation depuis qu'elle a quitté Marseille pour la Bretagne.
Alors pour vous donner envie de vous plonger dans l'univers de Changelins, nous vous proposons cette interview de Sophie Dabat, réalisée par notre responsable roman préférée !
Interview Sophie Dabat
"J’ai déjà voulu traiter l’entrée du fantastique de façon plus réaliste"
BBE : au niveau des genres, tu es assez éclectique. Quelle orientation, quel angle de vue as-tu choisi pour Évolution ?
Sophie : j’avoue honnêtement ne pas toujours savoir dans quel genre vont s’orienter mes textes lorsque je les entame. Je pars généralement d’une idée, d’une image ou d’un article de journal qui m’évoque quelque chose, et j’extrapole librement dessus. Après, surtout dans le cadre d’un roman, il y a toute la construction de l’intrigue qui définit le genre, mais au début, pour les premières pages – qui me permettent surtout de « sentir » si je tiens quelque chose ou si je me dirige vers une impasse – je ne sais pas trop dans quoi je m’aventure. Pour Changelins, je suis partie d’une image, comme pour les autres textes mentionnés ci-dessus. C’était une image assez fantastique, d’une jeune fille ailée dans un univers urbain. Donc ça m’orientait directement vers du fantastique. Après, c’est une image assez classique, et j’ai eu envie de détourner les clichés pour proposer quelque chose de plus innovant, pour montrer des éléments dont on ne parle pas forcément dans des histoires de ce genre. Mais quand j’y repense, je n’ai pas tellement l’impression que mes textes sont si différents les uns des autres. Peut-être parce que j’en suis l’élément commun ? [...] Jj’ai l’impression d’être toujours dans un univers mêlant fantastique et réalité, avec souvent des interrogations sur la notion de réalité, sur la folie et les frontières entre les mondes.
BBE : dans ce roman, tu oscilles entre bit-lit, comics et séries TV à la Heroes, et toutes ces histoires d’ados confrontés au surnaturel. Est-ce que tu as l’impression de surfer sur une vague ? Selon toi, quelle est l’originalité de Changelins et qu’apporte cette trilogie à ce panorama ? Quelles règles as-tu cherché à questionner, contourner, voire briser ?
Sophie : je n’ai pas l’impression de surfer sur une vague, même si j’ai conscience qu’il y a une véritable inondation de livres de fantastique et pour jeunes adultes en ce moment ! Mais je n’ai pas « choisi » de m’orienter vers un genre qui marche bien en ce moment. Si Syrine est une fille, ce n’est pas pour me rapprocher de la bit-lit mais parce que j’ai beaucoup de mal à faire vivre des personnages masculins, si le thème est fantastique, c’est parce que c’est mon sujet de prédilection, et s’il y a beaucoup de références aux comics, aux séries TV et à la bit-lit, c’est parce que ce sont des genres que j’adore, donc, forcément, j’avais envie de faire des clins d’oeil. Mais oui, effectivement, comme je savais que le sujet avait déjà été traité en long, en large, et en travers, c’est volontairement que j’ai essayé de transgresser les codes et clichés du genre. J’ai déjà voulu traiter l’entrée du fantastique de façon plus réaliste. J’en ai assez de toutes ces mutations où les héros se voient pousser des ailes, des griffes, des sabots ou autre en restant beaux et gracieux tout le temps. Je ne trouve pas ça vraiment crédible, ça doit faire souffrir horriblement, il n’y a qu’à voir à quel point les maladies rhumatisantes sont douloureuses ! Tout comme le fait que d’habitude, les héros découvrent tout un univers surnaturel et l’acceptent sans se poser de questions, comme si c’était évident. Non, désolée, si je voyais un jour un ange ou une fille ailée atterrir devant moi, je me demanderais d’abord si je n’ai pas perdu la tête avant d’aller lui serrer la main ! Donc voilà, j’ai essayé de faire en sorte que notre univers quotidien reste celui qu’on connaît, et dans lequel les gens sont quand même assez logiques et raisonnables. Mais comme ce sont des adolescents, forcément, j’ai aussi tenté d’aborder des sujets qui me tourmentaient quand j’avais leur âge, ainsi que d’autres questions actuelles sur notre société, comme l’intégration et le racisme. Dans la plupart des histoires de super-héros, le racisme est « anti-monstres », contre leurs mutations – on voit ça notamment dans X-Men – mais ça ne veut pas dire que si un super-héros était un homme – ou une femme – de couleur, il ou elle ne serait pas forcément en butte aux a priori des gens en plus d’être un mutant.
BBE : pourquoi avoir choisi un groupe d’adolescents pour raconter cette histoire, qui finalement se retrouvent très vite face à de très lourdes responsabilités ?
Sophie : je crois que l’adolescence est un moment-clef de notre vie, et on ne la quitte jamais réellement. C’est peut-être pour cela qu’il y a beaucoup de romans parlant d’adolescents en ce moment : non seulement les jeunes adultes se sentent plus proches de héros, mais les lecteurs adultes aussi s’y identifient et se souviennent d’une période qui oriente le reste de leur vie. Quant aux responsabilités, effectivement, celles de nos héros sont plus lourdes que celles que l’on portait au même âge, c’est peut-être pour ça qu’ils sont des héros et pas nous ! Mais je crois surtout qu’à ce moment charnière, on commence à appréhender les responsabilités de l’âge adulte, on en prend conscience, et quand j’y repense, je me souviens que ça me semblait monumental, à l’époque, que je n’arriverais jamais à gérer ça. Donc j’ai essayé de montrer, à travers des épreuves, que si, même si ça semble impossible, finalement, on y arrive, on survit à l’adolescence et on en ressort plus fort.
BBE : le thème de la folie revient souvent dans tes textes, et rappelle parfois le traitement qu’en faisait le fantastique du XIXe siècle, je pense notamment au Horla de Maupassant. Pourquoi cette récurrence et ce traitement particulier notamment lié au double ?
Sophie : le thème de la folie, c’est vrai que c’est un peu mon dada (rire). Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment volontaire, mais ce thème ressort dans tous mes textes. C’est un sujet qui me tient à coeur, la dépression, la perception de l’identité, la construction – ou la destruction – de soi, ce sont des sujets tabous, qui surgissent souvent à l’adolescence et restent nous hanter ensuite toute notre vie si on n’accepte pas de faire un travail sur soi, de se poser des questions. J’ai mis très longtemps à accepter cette part de noirceur qu’on a tous en chacun de nous, et même si je la connais maintenant, elle reste néanmoins en permanence à la surface, pour ressurgir dans mes textes. C’est un peu le miroir dans lequel on hésite à regarder, mais dont l’image nous fascine. On a tous en nous un double qui nous pousse à briser les conventions, à faire des bêtises, voire pire. Si on l’enferme dans un recoin trop exigu et caché de notre cerveau, un jour, il se libère et prend les commandes, tandis que si on l’apprivoise, on finit par ne faire plus qu’un avec lui.
BBE : comment as-tu structuré ton texte au niveau de la progression de l’intrigue ? Comment as-tu géré l’alternance entre scènes d’action et séquences « contemplatives », as-tu cherché à privilégier l’un ou l’autre, ou à obtenir un équilibre entre les deux ?
Sophie : cette alternance entre scènes d’action et moments de repos s’est construite toute seule, exactement comme après un effort physique, on a besoin de souffler. Je n’ai pas eu à la voir, elle était inhérente à l’intrigue. Quant à celle-ci, elle s’est calée de façon plus difficile : j’avais déjà écrit 30 000 signes de l’histoire quand je me suis aperçue que je me dirigeais vers une impasse, et j’ai tout arrêté pour reprendre l’histoire du début… trois mois plus tard dans le scénario. Ce qui m’a permis, ensuite, d’intercaler des passages du premier jet où Syrine était encore à Marseille et sentait sa mutation s’amorcer. Au début, l’histoire commençait en début d’année scolaire, à Marseille, et finalement, j’ai décidé de commencer par le moment où les ponts se tranchent réellement pour Syrine entre sa vie passée et la nouvelle. Cela me permettait d’entrer directement dans le vif du sujet, de façon moins biaisée. Les extraits de blog et de journal sont venus en dernier, pour donner d’autres éléments à l’histoire, notamment pour « entendre » la voix de Syrine de façon plus directe qu’à travers la narration.
BBE : en quelques mots, comment définirais-tu l’univers de Changelins, et en quoi est-il différent du nôtre ?
Sophie : mais l’univers de Changelins n’est pas différent du nôtre ! Je crois justement que ce qui le définit, c’est que c’est le nôtre, et que Syrine n’est pas un super-héros, mais une fille tout ce qu’il y a de plus normale, à qui il arrive un truc incroyable, qu’elle va tenter d’appréhender de son mieux. Le surnaturel y fait une entrée progressive, mais cela pourrait arriver à n’importe lequel d’entre nous en sortant pour aller chercher du pain, donc je garde encore l’espoir de me voir des ailes me pousser, même si je suis certaine que dans mon cas aussi, ce seront plus des ailes de diablotin que de gentil petit ange !
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