GODS 917
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Chez arkhane,d'après mes souvenirs, il y a 2 phases après un financement :
- Pledge Manager : pour ceux qui ont participé au financement, il donne la possibilité de modifier son pledge, de rajouter des options et permet de récupérer les bonus accordés lors du financement
- Late Pledge: pour ceux qui n’ont pas participé au financement, il donne accès aux contreparties de la campagne de financement (plus cher cependant) aux options mais de donne pas les bonus du financement (notamment les PDF)
- Poliakhoff
On vient juste de passer la barre des 80k. J'espère que l'on aura droit à un bon gros bouquin plein de bonnes idées de Lore et pas que des règles.
- Damsse
Effectivement les 80k sont dépassé et ils vont nous fournir en version imprimée les kit de découverte
Il y a déjà deux bouquins de base.
Le livre de règles comporte effectivement les règles, le descriptif des régions des terres sauvages et d'autre chose détailler dans ce poste
Le deuxième livre quand à lui:
Le Livre de l’Oracle révèle de nombreux secrets de l’univers de GODS et s’intéresse plus particulièrement au Culte du Soleil Noir et à ses serviteurs, aux créatures extraordinaires, aux lieux oubliés et à quelques sombres divinités. Il propose également trois scénarios, dont un scénario d’introduction à l’univers.
Il est prévu également dans le futur d'autre supplément, un sur babel, une campagne et d'autre chose.
Je pense qu'on va avoir pas mal de truc sur le lore
- Dain
180p de Lore avec des secrets, dès le lancement de la gamme, wow !
Si seulement cela pouvait devenir une norme pour tous les futurs jdr … On attend encore les secrets de certains univers de jdr, 10 ans après le début de la gamme
Est-ce que ça serait pas un petit tacle pour Esteren ça dis-donc?
Mais, ouais, je suis d'accord, pouvoir jouer avec une si belle partie de l'univers en mains dès le départ c'est une très bonne chose, j'ai hâte de pouvoir lire tout ça.
- Dain
Un peu moins de 800 participants et environ 90k €, pas mal, nettement mieux qu'en langue trumpienne
Une fin de CF sur les chapeaux de roues ! Et ce n'est clairement pas pour les cadeaux, ce jeu en vaut la peine par lui même et ça fait plaisir de voir que l'on peut encore faire recette avec de la création française et pas de la simple traduction ou reboot nostalgique .
Ca faisait longtemps que je n'étais pas aussi enthousiaste à l'idée de recevoir un jeu, et celui ci c'est sûr que j'y jouerai.
- Dany40 le Fix
180p de Lore avec des secrets, dès le lancement de la gamme, wow !
Si seulement cela pouvait devenir une norme pour tous les futurs jdr … On attend encore les secrets de certains univers de jdr, 10 ans après le début de la gamme
Dain
Attends de l'avoir dans les mains avant de comparer les délais...
GODS n'est pas un reboot en effet ... mais il sait prendre ce qu'il faut dans l'expérience de célèbres aieux pour construire sa propre proposition.
Le système TOTEM est la maturité d'excellentes œuvres ludiques qui ont traversé le JDR français (Prophecy et Vermine).
L'univers est une vision personnelle de son auteur mais enrichie des univers de Conan ou Bloodlust... et augmentée par l'apport d'une belle équipe créative.
Et le visuel ... plus qu'une cerise sur le gâteau le commando d'artistes qui donne ses visuels superbes à GODS donnent son identité au jeu.
Beaucoup d'espoirs donc
J’ai posté hier sur le groupe Facebook consacré à GODS une nouvelle plus classique dans la forme que le premier texte que j’ai écrit pour cet univers.
Comme tout le monde ne souhaite pas se rendre sur Facebook, je partage également ce texte ici.
Il présente un groupe de héros tel que je l’imagine dans cet univers.
Je l’ai appelé tout simplement...
Compagnons
Je regarde mes compagnons, leurs quatre silhouettes projetées sur le sable par l’éclat des lunes-sœurs. Ceux que le destin m’a donnés pour m’aider dans une tâche que je ne pourrais accomplir seul. Ils paraissent tellement fragiles dans le silence du désert, tellement futiles face à l’immensité des Terres Sauvages. Je connais leur valeur et pourtant je doute. L’indécision m’étreint et j’ai l’envie furieuse de tout abandonner, me mettre à courir pour ne jamais m’arrêter.
Les yeux de la déesse-paon brillent au creux de la voûte céleste, ils m’observent de leur regard impénétrable. Je lui ai promis, je ne peux pas la trahir ainsi, elle et toutes ses espérances. Ce n’est pas que je l’aime, non, car il est impossible d’aimer ce qui nous est inaccessible. Mais elle est à mon côté depuis si longtemps, elle a tant œuvré pour cet instant en devenir où de nouveau ses pas légers fouleront le sol des Terres Sauvages, que je ne peux lui faire défaut maintenant.
La frêle ombre de Jokaïm tressaille auprès de l’aplomb formidable du corps de Katrysne. Skayrn, encore caparaçonné de quelques plaques de métal, essuie la sueur qui lui coule sur le front. Et il y a E’hul, l’énigme ivoire, dont quelques trilles aviens sourdent parfois d’entre les lèvres cousues. Les voir tous ici rassemblés me procure une sensation indéfinissable. Il y a dans l’union de nos cinq personnes un mystère qui nous transcende et que sans doute même les dieux qui nous guident ne peuvent percer.
Un mystère qui a commencé il y a près d’un an.
Tandis que je chemine doucement vers le sud et que je me dévêts progressivement de mes couches de fourrure protectrices, je regarde l’horizon qui se dresse devant moi telle une barrière infranchissable. Cela fait maintenant deux mois que je voyage sur le dos du cheval de Jaeros. Une solide monture rompue à la rigueur du climat septentrional. Les quelques pillards et mercenaires qui ont croisé mon chemin ont trouvé à qui parler. Il faut dire que la déesse-paon ne ferme jamais les yeux et que nul ne peut me surprendre, même au beau milieu de mon sommeil.
La piste qui mène à Avorhae est maigre, un simple trait qu’on peine à discerner. Le moutonnement bas des collines sur ma gauche rompt la monotonie du paysage rocailleux. Quelques fumerolles s’en dégagent, signes de villages ou de campements établis sur leurs hauteurs. Le soleil, bas dans le ciel, s’endort lentement dans les bras molletonnés des nuages. Il règne en cette fin d’après-midi une quiétude qui emplit mon cœur de joie. Tout laisse à penser que la journée va s’achever comme elle a commencé : dans un calme profond. Mais les yeux de la déesse veillent.
Je redresse brusquement ma tête. Une forme minuscule se rapproche sur la piste. Elle n’est tout d’abord qu’un point minuscule. Elle se change peu à peu en une silhouette humaine. C’est un jeune garçon vêtu de loques noirâtres, les pieds en sang, qui court aussi vite qu’il peut dans ma direction. Sans doute ne m’a-t-il pas vu car il continue de foncer, tête baissée. Derrière lui, deux silhouettes montées sur d’horribles rosses décharnées gagnent du terrain. Il ne fait aucun doute que ces deux chasseurs sont après leur proie.
Je décroche mon heaume de la sangle auquel il pend et le place sur mon visage. Puis je me saisis de la poignée de mon épée à lame dentelée. Je pousse un long soupir avant de talonner ma monture aux flancs. La piste est un éclair brun sous ses foulées amples. Je passe au ras du garçon qui ne s’arrête pas. J’ai juste le temps de découvrir son visage meurtri, serti de croûtes et de bleus.
Les masques de mes adversaires arrachent des morceaux sanglants à la lumière solaire. Brusquement, je comprends qui ils sont. Le temps presse et je joue à nouveau des talons pour me précipiter à leur rencontre. Les mots de pouvoir résonnent déjà derrière les grilles métalliques qui couvrent les visages des sorciers. Tenant les rênes de la main gauche, je guide ma monture au plus près de celle de mon premier adversaire. Je frappe aussi fort que possible. Mon épée s’ouvre un chenal carmin dans sa gorge. Mais je ne parviens pas à le décapiter. Ma lame s’est coincée dans sa trachée. Je ne lâche pas mon arme assez vite et suis projeté à terre. J’ai le souffle coupé. J’ai besoin de quelques instants pour me redresser. Je jette un œil vers le sorcier blessé. Il agonise, bizarrement renversé sur le côté, une flaque pourpre s’étendant autour de son crâne.
Je tourne le regard vers le second sorcier. A peine mes yeux se posent-ils sur lui qu’une douleur intense éclate dans ma tête. Je sens le monde s’obscurcir brutalement. Le sol bouge sous mes pieds. Je chute lourdement. Mes paupières se ferment. Le temps est venu pour moi de me reposer. Je ne me relèverai pas. La lumière aveuglante des yeux de la déesse-paon troue les ténèbres. Elle me juge, moi l’incapable, le traître, qui cesse son combat à peine celui-ci commencé. Je ne tolère pas son verdict. Toujours à terre je rampe vers le cadavre, empoigne la garde de mon épée et tire de toutes mes forces pour l’extraire de sa prison d’os et de chair. Les dents de fer aiguisées raclent contre les anneaux cartilagineux de la trachée avant de se libérer. Je prends appui sur la garde de mon épée, rouge du sang de mon ennemi, et me redresse, bataillant contre la cage qui se referme sur mon esprit, tel un éteignoir sur un cierge. Je lutte. Mon estomac est pris de spasmes. J’ai tout juste le temps de retirer mon heaume avant de vomir le peu de nourriture avalée depuis l’aube.
Le rire sardonique du sorcier s’élève sous les ors du couchant. Dans son poing brandi ruisselant de sang tressaute un organe vivace, captif de son ignoble magie. Le front inondé de sueur, le goût acide de ma bile baignant ma gorge, je m’avance vers mon adversaire. Une sourde mélopée coule d’entre ses dents aussi blanches que des os et se déploie dans l’air, présage de ma défaite inéluctable. Guidé par les yeux de ma déesse, je refuse de céder et progresse vers le sorcier. Je regagne doucement mes forces, rasséréné par le regard divin. Comme des fils d’or arachnéens ondoient dans l’air. Les mots-arcanes abreuvés à l’énergie d’une vie fauchée déchaînent leur puissance.
Un tourbillon de sable et de roches s’abat sur moi. Mais l’art subtil de ma déesse le repousse. Je disparais en son sein le temps d’un battement de cils. Et me voilà, le visage nu, mon arme dressée devant moi. L’incompréhension se peint sur les traits du sorcier. D’un unique coup, je perfore son cœur, enfonçant mon épée dans sa chair jusqu’à la garde. Il éructe une ultime malédiction dans un flot de sang. Je retire ma lame d’un mouvement rapide. L’homme reste un instant en équilibre sur sa selle avant de basculer au ralenti. L’impact de son corps sur la rocaille ressemble à celui d’une grosse outre pleine d’eau percutant un mur.
A mon tour je me laisse tomber. Je suis épuisé et je me sens las, si las. Peut-être est-ce un effet du pouvoir maudit de Ool. Je reste assis à contempler le crépuscule s’épanouir telle une gigantesque fleur noire dans les cieux. Les lunes-sœurs brillent fugacement entre les nuages. Ma déesse m’adresse un clin d’œil. Je me suis défait du piège tendu par le destin. Je suis indemne mais conscient que les choses auraient pu très mal tourner.
« Je dois… je dois la ramener. » La voix sourde s’exprime dans un babelite approximatif. L’enfant en haillons se tient près de moi, tel un vieux corbeau lorgnant un morceau de carne desséchée. Je ne l’ai pas entendu se glisser à mon côté, mais mes sens ont été émoussés par cette longue journée. Je tends mon visage vers l’enfant et le regarde à nouveau. Je sursaute. Car ce ne sont pas des traits juvéniles que je contemple mais une sagesse ancienne qui irradie depuis deux billes anthracite. Un éclat de micas ou de quartz est fiché dans son front. Larme noire et brillante, elle m’attire et me repousse tout à la fois.
« Je dois la ramener chez elle.
- Qui dois-tu ramener chez elle, mon enfant ?
- Celle qui pleure. Si vous saviez. Elle est tellement triste. Je vous en supplie, aidez-moi. Elle a tellement souffert dans les Neuf Cités.
- J’aimerais bien t’aider mon enfant, mais j’ai déjà une quête à accomplir. Et je ne peux m’en détourner.
- Alors je vous accompagne. Je vais vous aider. Quand vous aurez achevé ce que vous devez faire, ce sera à votre tour de m’épauler. Qu’en dites-vous ? »
J’ai envie de rire. Mais quelque chose en moi m’indique qu’en cet instant, la première pièce d’un gigantesque puzzle se met en place. L’enfant vient se placer contre moi et je l’accepte telle une évidence.
C’est en ce jour que j’ai rencontré mon premier compagnon.
*
* *
C’est par un jour d’orage que je fis la connaissance du deuxième.
L’horizon était écrasé sous un ciel bas, amas de nuées sombres et cireuses, qui grouillaient tel un vol de rapaces avides. J’étouffais de chaleur sous l’armure que je refusais d’ôter en raison des fréquentes escarmouches contre des mercenaires ou des fanatiques du Soleil Noir. Ces derniers n’hésitaient plus à agir ouvertement, s’amusant à défier les lois d’Avorhae, gonflés d’un sentiment d’impunité. Nous en avions croisé quelques groupes avec Jokaïm. Lorsque nous le pouvions, nous nous écartions suffisamment loin pour éviter la confrontation. Mais à deux reprises, il avait fallu livrer combat à ces hommes et femmes à l’esprit noyé de certitudes haineuses.
Leurs cadavres blafards, nous les avions dissimulés tant bien que mal dans les fourrés ou le lit à sec d’une rivière. Mais il ne faisait pas de doute qu’on les trouverait bientôt et que vengeance serait réclamée contre les auteurs de ces exactions. La déesse-paon ne parvenait pas toujours à déceler leur présence avant qu’il ne soit trop tard, comme si la puissance du Soleil Noir réussissait à obscurcir sa vision. Cette faculté à éviter le regard de ma déesse me troublait, et je redoublais de vigilance à mesure que nous approchions de notre objectif, la citadelle d’Ehrestae.
La route passait au-dessus d’un ravin profond. Le bruit lointain d’une rivière encaissée nous parvenait tel un murmure. J’engageais le cheval de Jaeros sur le pont de pierre lézardé lorsqu’une flèche frôla mon heaume avant de se ficher dans le sol en vibrant. Je sautai immédiatement à bas de ma monture à qui j’ordonnai de s’éloigner d’un grand coup sur la croupe. Là où je me trouvais, j’étais totalement exposé. Je devais parcourir encore vingt mètres avant de pouvoir me mettre à couvert derrière une vieille croix de pierre en granite. Je m’élançais en zigzaguant, espérant tromper l’archer embusqué. Un deuxième trait me manqua d’un cheveu. Encore dix mètres. Un léger sifflement retentit et je vis le serpent de bois et d’acier tracer sa courbe létale. Impossible de l’éviter. Mais au lieu de frapper en plein dans le ventail de mon heaume, elle dessina un arc étrange, perforant la couche de fourrures qui me couvrait l’épaule, m’éraflant à peine.
Sans m’attarder sur cette bizarrerie, je plongeais au pied de la croix de granite. J’avais tout juste eu le temps de découvrir la position de l’archer. Celui-ci se tenait encore à plus de cinquante mètres de moi et sa précision était stupéfiante. Si je quittais mon abri, je ferai une cible idéale. J’avais pu constater le talent de l’archer. Celui-ci en finirait rapidement avec moi. La seule stratégie était donc de patienter jusqu’à temps qu’il quitte son poste. Je jetais un œil en arrière. La masse neige et ombre de ma monture se tenait à bonne distance du ravin, Jokaïm à son côté. Le garçon regardait dans la direction de l’archer. Je doutais qu’il puisse voir quoi que ce soit à cette distance.
Des bruits m’alertèrent. Trois cavaliers drapés de noir fondaient sur moi, tels des corbeaux attirés par la promesse d’un festin. Le galop de leurs sinistres montures soulevait une fumée grise. Si je quittais la protection de la croix, je m’exposais au tir de l’archer. Si je restais là, je devrais faire face aux trois cavaliers. Ma situation était critique. Comme un hululement résonna. Jokaïm, allongé sur mon cheval, sa tête contre la joue de l’animal, fusait vers l’archer. Quelle folie l’avait prise !
L’archer se redressa. Le bois de son arc craqua tandis qu’il le bandait de toutes ses forces. Une veine saillait sur son front sous l’effet de la concentration. Dans un geste parfait, il relâcha la corde. L’empennage de plumes noires frissonna. Le trait siffla. Il fila droit vers l’enfant. Le cheval de Jaeros, ses pattes puissantes heurtant le sol dans un martèlement continu, était lancé à pleine allure. Flèche et cheval se confondirent un instant… et poursuivirent leur course. Incrédule, l’archer encocha une nouvelle flèche en hâte mais, alors même qu’il redressait son arc, il fut percuté de plein fouet par l’équidé.
Je n’avais pas le temps de m’attarder sur l’assaut improbable de l’enfant. J’empoignais une hachette de jet qui pendait à ma ceinture. Je m’apprêtais à recevoir mes assaillants. Je fis un pas de côté, exposant la moitié de mon corps et lançais mon arme de toutes mes forces. Elle tournoya, se changeant en un disque mortel. Le front du cavalier explosa sous l’impact et il bascula lourdement de sa monture. Je bondis sur le côté et la lance du deuxième cavalier percuta la croix de granite.
Je parais le coup du troisième d’une parade réflexe. Des étincelles jaillirent le long de la ligne de trempe du sabre à lame-courbe de mon adversaire, une curieuse arme d’acier bleu-nuit. Je contre-attaquais mais mon épée trouva sous l’ample cape noire les anneaux d’une cotte sur lesquels elle glissa. Mon adversaire recula. Je pivotais sur moi-même. Le cavalier à la lance avait sauté de sa monture et me regardait intensément. Son visage blanc-craie se détachait nettement contre le ciel chargé de nuées furieuses. Un éclair déchira les cieux avant qu’une voix tonitruante n’emplisse le monde entier. La pluie, d’un coup, crépita contre la peau crevassée de la terre.
Mes deux adversaires lancèrent leur assaut simultanément. Je parvins à éviter le coup de lance mais le sabre m’atteint au flanc. Mes couches de fourrure et les quelques plaques de métal cousues entre elles amortirent l’impact mais le choc me fit vaciller. Mon pied glissa sur le sol devenu boue en quelques instants. Incapable de recouvrer mon équilibre, je chutais sur les fesses.
Je réussis avec de la chance à dévier le coup de lance qui racla douloureusement contre mon humérus. Mais la lame bleu-nuit fusait déjà vers mon cou. Les yeux de la déesse-paon se superposèrent aux miens. Je vis un homme à genoux sur une grande dalle de pierre gravée, le visage baissé, le corps secoué de sanglots. Au-dessus de lui, une statue colossale semblait méditer dans les ombres. La vision se dissipa et la foudre frappa juste devant moi, brisant net le sabre qui allait me décapiter. Je fus projeté en arrière. Totalement aveuglé, j’entendis le hennissement de plusieurs chevaux, des cris et puis un hurlement de douleur aussitôt noyé par le grondement du tonnerre.
« Ça va, Sven ? Le timbre frêle de la voix de l’enfant me rassura.
- Que s’est-il passé, Jokaïm ?
- Je me suis débarrassé de l’archer. Aidé par la foudre, j’ai aussi éliminé l’escogriffe au sabre. Le dernier cavalier a pris la fuite sur sa monture. Mais quelque chose me dit qu’il n’ira pas loin.
- Tu es fou d’avoir foncé sur l’archer. C’est un miracle s’il vous a raté toi et le cheval.
- Je crois qu’il avait un peu la larme à l’œil. Ca a dû le gêner lorsqu’il a tiré. Il s’en faut parfois de peu entre l’allégresse et les pleurs. »
Et pour joindre l’acte à la parole, il leva son visage vers l’averse et partit d’un grand rire. Une immense silhouette se dessina alors derrière l’enfant. Aussitôt, je portais la main à ma ceinture, où pendait une seconde hachette.
« Tout doux l’ami, gronda la voix amicale du géant. Je ne vous veux aucun mal. Bien au contraire même. Vous m’avez donné l’occasion de me débarrasser de ces trois charognards. Et disons que nous avons été bien aidés par le temps.
- En effet, approuva Jokaïm. Un temps à ne pas mettre un vilain corbeau dehors, ni même quatre !
- Ah, ah. Tu l’as dit petit. Bon, ce n’est pas tout ça, mais je vous propose de poursuivre cette discussion au sec devant une petite collation. Car si la saison n’est pas bonne pour les corbeaux, elle n’est pas tellement plus accueillante pour ceux qui les chassent. »
C’est ainsi que nous fîmes la connaissance de Skayrn. Originaire des Royaumes Divisés, il avait été trahi par celui-là même qu’il avait juré de servir, un nobliau qui l’avait utilisé comme monnaie d’échange pour acquérir du pouvoir. Il avait croupi dans un cul-de-basse-fosse pendant de longues années, avant qu’un groupe de mercenaires, qui avait massacré ceux qui le détenaient, n’en fassent leur esclave. A moitié nu, nourri de l’eau qu’il parvenait à boire dans les flaques et de vieux croûtons rassis qu’on lui jetait comme à un singe, dormant dehors par tous les temps, il avait survécu ainsi de longs mois. Avant qu’un combat contre une autre troupe armée ne se termine par la mort sauvage de tous les combattants. Seul au milieu des cadavres, il s’était repu des provisions généreuses pillées par les mercenaires dans les villages qu’ils traversaient.
Ramassant une claymore que sa grande taille lui permettait de manier sans trop de difficultés, s’arrangeant comme il le pouvait une armure des morceaux de métal disparates prélevés sur le corps des mercenaires, il s’était enfoncé dans la nuit. Au matin, il se trouvait devant un bastion effondré, dont seule la tour principale semblait avoir été épargnée par les ravages des hommes et du temps. Il s’introduisit en son sein et, avisant une série de marches s’enfonçant dans les ténèbres, il descendit un escalier en colimaçon qui menait à une porte solidement cadenassée.
Sans vraiment savoir pourquoi, il mit toute son énergie à la faire céder. Il se blessa à plusieurs reprises avant d’y parvenir. La pièce dans laquelle il pénétra semblait tout à la fois immense et déserte. Alors que sa vue s’habituait à l’obscurité il perçut un scintillement intermittent. Guidé par les lueurs, il parvint devant une masse entourée de tellement de chaînes qu’il ne pouvait en deviner ni la forme, ni la matière. Le long de leurs maillons épais crépitaient de minuscules éclairs.
Skayrn sentait une présence. Et dans sa tête grondait la voix sourde d’un orage lointain, si ténue qu’il pouvait à peine l’entendre. Lorsque ses mains se posèrent sur l’acier glacé, le grondement s’amplifia et le crépitement des éclairs gagna en intensité. De ses mains nues, il saisit l’une des chaînes qui emprisonnait la masse et, mû par une force qui n’était pas la sienne, la brisa net. Puis il tira. Il y eut un ruissellement métallique tandis que les chaînes, telles des vagues déferlantes, se fracassaient contre terre.
Révélé par la chute des chaînes, un haut trône de pierre se dressait devant Skayrn, baigné par le crépitement d’un gantelet d’airain posé sur l’un de ses accoudoirs. Ce gantelet pulsait d’une énergie pareille à celle de la vie, tressaillant de ses veines de métal. Skayrn approcha doucement ses doigts, le caressa et il sut pourquoi il avait forcé la porte. Sa main rentra dans la cavité soyeuse du poing de métal et il eut l’impression d’enfiler un gant de soie, qui s’ajustait parfaitement sur sa chair. C’était ainsi qu’il s’était lié avec Colère d’Orages, le Seigneur de la Pluie. En tout cas, c’est en ces termes qu’il m’en parla un peu plus tard le soir, alors que nous venions de nous abriter dans une cabane abandonnée, qui nous offrait un maigre abri contre la fureur des éléments.
*
* *
Je me souviens de la première fois où je la vis. Les traits de mon visage me trahirent, ne pouvant cacher la fascination pour la femme sculpturale qui venait de faire son apparition. Katrysne, je ne connaissais pas encore son nom à cet instant, s’avança dans la lumière chaleureuse des braseros. Les flammes jouaient le long de ses bras musculeux, dansaient sur son ventre plat dont le nombril était percé d’un unique anneau gravé de runes ardentes, soulignaient le galbe de ses jambes puissantes. Nous ne l’avions pas entendu venir. C’était comme si une reine des temps anciens s’était soudain extirpée de l’oubli des siècles pour se révéler à nous.
La silhouette menaçante du Dieu-Serpent nous toisait, ses yeux d’émeraude luisant d’une lueur maligne. Le temple était plongé dans une étrange immobilité, comme s’il n’était autre chose qu’un lieu visité en rêve. Nous nous étions infiltrés dans le bâtiment sans rencontrer le moindre être vivant. Pas un garde. Pas une sentinelle. Seul le silence pour nous accueillir ; et maintenant le brasillement étrangement joyeux des braseros, au centre desquels venait de surgir la nouvelle-venue.
Ses cheveux avaient une couleur d’or rouge, leurs mèches serpentines cascadant jusqu’au bas de ses épaules. L’éclat peridot de ses yeux rappelait dangereusement celui des prunelles fendues de la statue du Dieu-Serpent. La main sur la garde de mon arme, je la regardais se glisser entre nous. Aucune émotion n’était perceptible sur ses traits. Ses bras épousaient la ligne de son corps, bougeant à peine à chacun de ses pas, ses mains demeurant proches de la poignée des kriss simplement coincés derrière sa ceinture.
Elle nous dépassa sans même nous regarder et vint jusqu’au pied de la statue. Elle s’agenouilla sur le sol dans un mouvement parfaitement fluide qui paraissait pourtant impossible à un corps aussi massif. Elle demeura là pendant une minute, son front tout contre la pierre dans laquelle était sculpté le Dieu.
Puis nous la vîmes se redresser avec une grâce ophidienne et elle se tourna vers nous.
« Etrangers, pourquoi cette incursion sur le sanctuaire de mon Dieu ?
- Nous sommes venus ici car il nous a été dit que le Dieu-Serpent avait accumulé de nombreuses richesses. Et nous avons cruellement besoin d’un peu d’or pour mener à bien notre œuvre.
- Je doute que votre œuvre soit noble s’il faut pour l’accomplir que vous veniez piller l’antre d’un être qui n’a été que générosité tout au long de son existence. Sachez que ces lieux ne renferment nul trésor, contrairement à ce que prétend la rumeur.
- Et ces gemmes, là, intervint Skayrn en désignant le visage du Dieu-Serpent.
- Ce ne sont pas des gemmes, mais les yeux du Dieu.
- On dirait pourtant bien des gemmes.
- On dirait bien que vous n’écoutez pas quand on vous parle, répartit la femme d’une voix lourde de menaces.
- Ecoutez, on ne cherche pas la bagarre.
- En vous introduisant dans une demeure qui n’est pas la vôtre ?
- On n’a pas vraiment le choix, madame, dit Jokaïm. Les vilains corbeaux sont après nous et nous, on a vraiment besoin d’or pour obtenir un renseignement.
- Si vous en avez vraiment besoin, payez-le avec l’or que vous aurez gagné.
- Le problème est que nous n’en n’avons pas suffisamment et que le temps presse.
- Et vous êtes donc prêts pour cela à dépouiller autrui. Vous n’êtes finalement pas si différents des vilains corbeaux qui vous pourchassent.
- Je suis navré d’en arriver à cette extrémité. Remettez-nous les deux gemmes et nous partirons.
- Pensez-vous que je vais sagement vous remettre les yeux du Dieu pour satisfaire votre caprice. Vous êtes soit complètement fous, soit complètement stupides. Assez parlé. Il est temps pour vous de comprendre. »
Contre n’importe quel autre adversaire, sa technique aurait fonctionné. Mais la déesse-paon me prêtait une partie de ses sens. Je la vis qui se ramassait sur elle et se détendait comme un cobra. Un instant, elle disparut, mais ma déesse me guida. Je la sentis qui me portait un premier coup, puis un second, deux morsures de ses kriss qui auraient dû m’être fatales. Au lieu de cela, il y eut deux éclairs métalliques tandis que ma lame déviait à un battement de cœur d’intervalle chacune de ses frappes.
Elle bondit vers l’arrière, une lueur meurtrière dans le regard. Alors je fis quelque chose que je n’avais pas prévu : je rengainais mon arme et m’avançais vers elle, les bras ouverts.
« Très bien. Nous allons partir sans rien prendre ici. Mais vous allez venir avec nous. »
Elle me fixait sans mot dire. Sa beauté était stupéfiante. Bien plus que les gemmes du Dieu, ce serait notre atout pour obtenir le renseignement auprès de Jarhaat, le marchand d’âmes. Jarhaat convoitait la richesse, mais plus encore la beauté des Terres Sauvages et de ses habitants.
« Je vous en prie, votre concours est indispensable à la réussite de ce que nous devons accomplir. Nous avons été plus qu’incorrects jusqu’ici, mais de grandes choses sont en jeu. Des choses qui nous dépassent tous mais qui pourraient amener un peu d’espoir là où il n’y en a plus. »
Mes paroles se perdaient dans l’immensité du temple. Cette femme que je voulais à nos côté, entendait-elle seulement mes mots ? Elle restait sans réaction, les bras de nouveau le long du corps, dans une attitude feinte de relâchement.
Soudain, les yeux du Dieu-Serpent étincelèrent. Je me sentis sondé jusqu’au plus profond de moi-même. La femme siffla à la manière d’une vipère. A une vitesse fulgurante, elle saisit ses kriss et dessina devant elle une figure mystique. Je fus soulevé de terre, enserré par les anneaux fantômes d’un gigantesque serpent. Je me trouvais face aux puits profonds des prunelles du Dieu ophidien. Des mots résonnèrent dans ma tête, des sons si anciens qu’ils se fracassaient contre l’étendue limitée de ma compréhension. Et je vis de nouveau l’homme en pleurs, son corps agité de spasmes, seul sur cette dalle gravée. Et devant lui cette statue colossale dont je ne distinguai que l’ébauche de la silhouette. Cette fois, elle était plongée dans le noir. Telle une flamme éteinte. Et les larmes de l’homme continuaient de couler. Une tristesse immense qui n’était pas la mienne m’envahit et je me mis à sangloter.
Le contact brutal du sol sous mes pieds me ramena à l’instant présent. La femme se tenait face à moi, son nez effleurant presque le mien.
« C’est d’accord Sven. Je vous accompagne, ainsi en a décidé le Dieu-Serpent. Mais ne crois pas que cela sera sans douleur. Tu dois te préparer à souffrir comme jamais tu n’as souffert. Nous souffrirons avec toi, Sven, mais c’est sur toi que pèse le Fardeau. Tu peux encore renoncer si tu le souhaites. Il ne t’en voudra pas.
- Je ne reculerai pas, vous qui connaissez mon nom mais dont j’ignore le vôtre.
- Tu peux m’appeler Katrysne.
- Je ne fuirai pas Katrysne. Et maintenant, allons voir Jahraat. »
Les yeux de mon nouveau compagnon s’étrécirent jusqu’à n’être plus que deux fentes étroites. Je lisais pourtant dans leurs interstices émeraude une peine infinie.
*
* *
Nous sommes arrivés trop tard. Les fumées qui montaient du village nous avaient avertis. Mais nous avions décidé d’y aller coûte que coûte. A la recherche de quelques miettes d’espérance.
Le spectacle qui s’offrait à nos yeux ne laissait aucune place à ces miettes. Au centre de la place, une dizaine de cadavres accrochés par les pieds se balançaient mollement aux branches d’un grand arbre malingre. Juste sous nos pieds, la terre, rouge du sang des victimes, était semée de corps désarticulés, leurs visages plongés dans la boue ou figés dans un rictus de terreur. A ma gauche, contre la porte d’une grange, une femme serrait encore une jeune fille dans ses bras. Une hampe de lance dépassait d’une coudée du dos de la fillette. A voir l’angle bizarre dessiné par son cou et sa tête, rejetés violemment vers l’arrière, je compris que la lance l’avait atteinte juste au moment où elle s’était réfugiée dans les bras de la femme. Sa mère, peut-être ?
Plusieurs maisons achevaient de brûler, leurs cendres pas encore éteintes dégageant des fumées grises qui montaient lentement contre le ciel terne. Il y a quelques heures à peine, ce village était comme tous les autres : un lieu où les habitants travaillaient dur pour vivre, mais où il y avait encore de bonnes choses à partager. Seul le silence habitait maintenant ici. Un vide hideux et grimaçant, peint par la mort sur les traits des villageois.
Nous fouillâmes les quelques bâtisses encore debout. Ce ne furent que scènes sanglantes et mortifères. Il n’y avait aucun survivant. Aucun témoin du massacre. Rien que les cendres balayées par le vent. J’avais envie de hurler mais le cri ne parvenait pas à se frayer passage à travers ma gorge. Les sons étaient interdits. Les larmes étaient vaines. L’espoir n’existait pas.
Lorsque nous sortîmes de la dernière maison, ravagée comme les autres par les exactions des fanatiques du Soleil Noir, je crus avoir affaire à un mirage. Mais non : une silhouette nue et blafarde, au visage androgyne, se tenait au beau milieu de la place, sous les pendus. Elle ne bougeait pas et nous regardait fixement. Ses lèvres serrées étaient barrés de lignes noires étroites. Je dégainais mon arme et m’avançais, prêt à en terminer une bonne fois pour toute avec la folie ambiante.
C’était une jeune femme. Son visage d’une blancheur d’ivoire était encore plus pâle que ceux des cadavres qui l’entouraient. Je m’aperçus en me rapprochant que les lignes noires qui striaient ses lèvres étaient en vérité des fils qui lui cousaient la bouche. L’œuvre du Soleil Noir ? Un ultime outrage laissé pour les premiers qui découvriraient le sort réservé à ceux qui ne pliaient pas devant la vérité de Lux ?
Nous ne l’avions pas vue à notre arrivée, de cela j’étais certain. Etait-elle dissimulée sous les autres cadavres ? Ou bien était-elle sortie d’une des maisons pendant que nous étions occupés à fouiller les autres ? Quoi qu’il en soit, j’étais plus que méfiant et la rage sourde qui grondait en moi me commandait de l’occire sur le champ. Skayrn, Katrysne et Jokaïm se tenaient en arrière, sur leurs gardes.
Je fis encore trois pas. Un mètre me séparait de la jeune femme nue. Une portée suffisante pour ma lame. J’étais sur le point de frapper, incapable de réfréner ma colère, quand un oiseau poussa un cri. Je le cherchais du regard mais ne le trouvais pas. De nouveau j’entendis l’oiseau. Mais ce n’en était pas un. Le son filtrait d’entre les lèvres cousues de la jeune femme. E’hul, e’hul. Ce trille était comme un rire, non pas comme le coassement grinçant des corbeaux, mais comme le ramage mélodieux d’un rossignol, cet oiseau mythique censé vivre quelque part dans les terres du sud. Et les yeux de la jeune femme brillèrent soudain et les larmes commencèrent à couler. Elle ouvrit les bras, m’invitant à l’embrasser. C’était peut-être un piège, c’était peut-être une chance.
Je me pressais contre son corps livide, sa chair sans protection tout contre mes couches de fourrure, de cuir et de métal. Et je connus alors une sensation presque similaire à celle qui avait conclu ma rencontre avec Jokaïm. Sauf que cette fois, c’était la dernière pièce du puzzle qui venait de se mettre en place. Nous étions complets.
Ce détour pour sauver les villageois, bien que nous ayons été impuissants à les aider, nous avait mené jusqu’à celle que nous baptisâmes E’hul. Si le renseignement donné par Jahraat s’avérait véridique, mon périple de près d’une année était maintenant sur le point de s’achever.
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J’avais eu raison. La simple vision de Katrysne avait presque rendu cinglé le marchand d’âmes. Cet être si laid qu’il en était fascinant. Lui et Katrysne avaient conclu un marché dont ne nous ne sûmes rien. Et Jahraat nous avait confié l’emplacement du palais de ma déesse. Comment le savait-il ? Je l’ignorais, mais ce n’était peut-être pas pour rien qu’on l’appelait le marchand d’âmes.
En chemin, nous apprîmes qu’un détachement de l’armée de Lux, grouillant de dévots du Soleil Noir, terrorisait les villages alentours et qu’il se dirigeait vers une nouvelle cible. Un village d’une cinquantaine d’habitants, Loerûn. Le détour que nous fîmes fut inutile, du moins pour tous ceux qui périrent ignoblement ce jour-là.
Car c’est à Loerûn que nous rencontrâmes E’hul, représentante du peuple dément de Saeth. Mais elle n’était pas comme les autres : bien au contraire même et ses trilles aviens chaleureux démentaient son apparence sinistre. Quand je lui proposais de découdre ses lèvres, elle m’en dissuada à l’aide de grands signes et de regards affolés. Je n’insistais pas.
Revêtue d’une ample cape donnée par Katrysne et de quelques vêtements récupérés par Jokaïm, E’hul chevauchait sur le cheval de Jaeros, pressée contre mon dos. Skayrn et Katrysne montaient chacun de beaux pur-sang achetés à une caravane de marchands du Khalistan. Quant à Jokaïm, il avait préféré se hisser sur le dos d’une sorte d’antilope à cornes torsadées, dont les sabots et les jambes puissantes épousaient avec grâce les courbes du désert.
Nous chevauchâmes la nuit, à la lumière des lunes-sœurs, faisant halte le jour pour nous protéger des brasiers diurnes. Dès que le crépuscule immisçait ses doigts d’ombre dans les cheveux du jour, nous remettions nos vêtements chauds pour affronter les températures glaciales. Vigilants, nous évitâmes de faire des feux afin de ne pas signaler notre présence aux tribus maîtresses des lieux.
Une semaine après avoir pénétré la frontière de l’erg, nous fûmes attaqués par des scorpions aussi gros que nos montures. Nous fûmes obligés de mettre un terme à la souffrance d’un des pur-sang qui avait été piqué par le dard d’une créature. Notre progression en fut ralentie et nous dûmes économiser sur nos réserves d’eau et de vivres.
Enfin, les repères indiqués par Jarhaat nous désignèrent l’entrée dissimulée du palais. Trois rocs imposants aux formes animales, dont les ombres à cinq heures de l’après-midi se tendaient telles des flèches fantastiques vers le même point. Il y avait eu jadis de l’eau en cet endroit, mais le soleil l’avait bue jusqu’à plus soif. Seul un palmier à l’écorce malade tremblait encore sous le souffle du vent, ses grandes feuilles sèches arborant des teintes jaunâtres. On pouvait encore deviner les rives du wadi définitivement asséché, là où nos pieds s’enfonçaient aujourd’hui dans une épaisse couche de sable. Face à nous se dressait un dôme ocre strié de crevasses creusées par le vent et le sable.
Prenant comme repère le palmier, nous nous avançâmes en ligne droite vers le monticule. Je fus bientôt assez près pour le toucher et ma main caressa sa peau rêche. Etait-ce bien là ? Je fis signe à Skayrn de sortir le grand miroir acheté auprès de la caravane. Il capta les rais des lunes-sœurs et orienta leur lumière vers l’endroit où je me tenais. Je m’écartais et nous vîmes en peu de temps des signes occultes apparaître. Des signes que je n’avais jamais vus mais que les maîtres de Jokaïm avaient utilisés pour tenter de le tuer lorsqu’il s’était enfui de Ool.
L’enfant s’approcha et effleura les symboles avant de se mettre à chanter. Sa voix avait un timbre si étrange que je ne la reconnus pas. L’erg tout entier gronda et la colline poussa comme un grand soupir tandis qu’elle ouvrait dans sa chair sanglante un passage pour nous laisser entrer en elle. Nous n’échangeâmes pas une parole et pénétrâmes en son sein.
Une impression de bien-être me saisit. Je me trouvais soudain dans la matrice originelle, loin des dangers et des horreurs de ce monde. Je nageais dans une félicité sans nom. Pouvait-il y avoir un autre but dans l’existence que se trouver ici ?
Le froid glacial qui me gifla m’apporta un semblant de réponse. J’étais seul. Je ne voyais ni n’entendais mes compagnons. Je me trouvais dans une salle immense et je sus immédiatement que je l’avais déjà vue à plusieurs reprises. La statue colossale, plongée dans l’ombre, se trouvait complètement de l’autre côté du lieu et, entre elle et moi, se trouvait l’homme agenouillé sur la dalle de pierre gravée.
J’avançais vers lui et les yeux de la déesse-paon me dessinaient une voie dans les ténèbres. Ses pleurs me furent d’abord inaudibles. Puis ils crevèrent le silence telles des bulles remontant à la surface de l’onde. Je m’avançais jusqu’à me tenir sur le seuil de la dalle de pierre gravée. Non seulement gravée mais peinte de motifs chatoyants qui avaient résisté à l’attention des siècles. Je découvris une dame aux atours d’un vert vif, des plumes multicolores tressées en une coiffe qui lui ceignait le visage. Seul un de ses yeux était visible car sur l’autre se tenait l’individu agenouillé. Un œil à la prunelle d’un jaune comme celui d’un œuf, d’un jaune que j’avais envie de toucher pour étaler partout.
Je vins me placer sur l’œil resté libre et son contact était chaud et humide. L’homme à mon côté pleurait toujours, les larmes dévalant sur ses joues mangées d’une barbe hirsute. Je restais ainsi quelques instants puis ma tête fut traversée par des images fulgurantes. Tout allait trop vite pour que j’en saisisse vraiment le sens et en même temps je sus exactement ce que signifiaient les bribes de l’histoire qui m’était ainsi contée.
Elle avait été jadis un puissant monarque, qui régnait sur un royaume où l’on adorait. Les siècles s’égrenaient, délices sans cesse renouvelées, dans le grand sablier du temps et chaque jour n’était que fête et célébration, rires et chants. Et il semblait que cette allégresse durerait jusqu’à la fin des âges. Mais les fastes s’étaient changés en ternes spectacles tandis que ses fidèles se détournaient inexorablement, regardant au loin comme si quelque mirage à l’horizon les fascinait. Le doux chuchotis des fontaines et des bassins avaient cédé la place aux murmures du sable et aux sifflements inquiets du vent. L’éclat des gemmes avait pâli, tout comme celui du regard des enfants. Bals de poussière et danses fantômes, le reflet des siècles glorieux seul animait encore les songes de la déesse.
Dans ses yeux d’or liquide, emplis de rêves fondus, ne nageaient plus que des fragments d’espoir. Mais nous étions là, nous, ses yeux, pour regarder la glorieuse vérité et restaurer la fabuleuse époque où elle surpassait les plus belles de ses sœurs.
Et je vis devant moi la statue se parer de teintes polychromes, tandis qu’un peintre invisible ravivait sa splendeur d’antan. Devant moi elle se tenait telle qu’elle s’était tenue il y a mille ans, il y a trois mille ans, telle qu’elle se tenait depuis l’éternité. Et les larmes ruisselèrent sur mon visage, car je la voyais véritablement, elle si parfaite, si pure. Et tant que nous, ses yeux, serions ici à la contempler, ses songes erratiques ne seraient plus des mensonges, mais la promesse d’un renouveau.
Merci mes compagnons, vous qui m’avez mené jusqu’ici, en ce lieu de merveilles. Je ne vais pas pouvoir continuer avec vous, car qui d’autre que moi et le deuxième œil pourraient la regarder ainsi. Mais grâce à E’hul, je serai toujours à vos côté. Si jamais le désespoir vous saisit, regardez-la dans les yeux et pensez fort à moi. Alors j’attiserai les braises dormant dans vos cœurs vaillants et vous accomplirez des miracles. Car je sais que si vos silhouettes allongées sur le sable paraissent fragiles, ce sont pourtant les ombres de colosses.
Le pledge manager et le late pledge devraient être en ligne la semaine prochaine
Le pledge manager est ouvert, 15€ de frais de port pour une contrepartie Elu.
Super. Reste plus qu'à voir si les livraisons commenceront dans 2 mois ou dans 2 ans... Histoire de savoir quelle adresse de livraison mettre 🤔😁