Pourquoi l'Oeil Noir a conquis mon coeur de rôliste 118
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En ce moment où il est important de faire connaître la gamme, j'ai pensé partagé les raisons de mon coup de coeur - et elles sont loin d'être exhaustives!
EDIT: si d'autres personnes souhaitent partager les raisons de leur coup de coeur, ce fil est la bonne place!
Je suis entrée dans l’univers de l’Œil Noir grâce à une heureuse erreur de ma mère. Alors que j’étais encore jeune adolescente et friande des Livres dont vous êtes le héros, elle m’a offert en cadeau La Source de Mort. Si la couverture et les illustrations intérieures étaient attrayants, ma réaction première fut le désenchantement. Ce livre ne pouvait être joué sans posséder d’abord le Coffret d’Initiation au jeu d’aventure de l’Œil Noir. J’avais certes entre-aperçu ce coffret assez populaire dans les librairies dans les années 1980, mais je n’avais pas grande idée de quoi il s’agissait. Les jeux de rôle m’étaient encore totalement inconnus.
J’ai laissé La Source de Mort de côté, puis y suis revenue, trop intriguée par les descriptions de personnages et de créatures légèrement plus élaborées que celles qu’on retrouvait dans les Livres dont vous êtes le héros. La description du jeu de rôle en introduction du livre me fascinait également. Quelques mois plus tard, je mis la main sur le coffret, avec ses classiques paravent, livre de règles, livre d’aventures et mystérieux dé à vingt faces. Comme bien d’autres personnes découvrant les jeux de rôle pour la première fois, le changement de paradigme qu’ils introduisent par leur élargissement presque infini des choix d’action des joueurs de même que par l’évolution des personnages qu’ils incarnent déclencha une volée de feux d’artifices dans ma tête.
En train de rassembler mes livres en vue d’une partie, dans mon jeune temps |
J’initiai cousins, cousines et amies à ce jeu et certains devinrent d’enthousiastes adeptes. L’arrivée de la deuxième édition, l’Extension au jeu d’aventure, nourrit d’autant plus notre amour du jeu avec son approfondissement historique, religieux et culturel de l’Aventurie, ce continent diversifié sur lequel se déroulent les aventures. J’ai souvent plongé mon regard sur la carte de ce continent épinglée sur mon mur de chambre, anticipant des traits distinctifs à chacune des villes qui s’y trouvait. Le boitier d’extension sur la ville de Havena confirma cette intuition. Les créateurs du jeu avaient bel et bien en tête un univers auquel ils entendaient donner vie.
La source se tarit néanmoins. Les règles avancées du monde de Tharûn furent une déception et je ne vis plus de nouveaux produits entrer dans la boutique locale de jeux de rôle. C’était possiblement la fin de l’Œil Noir, pensai-je, tandis que les sirènes de la gamme Donjons et Dragons chantaient de plus en plus fort. Initiée à mon tour par d’autres cousins, je dois concéder que je fus également charmée par le jeu. La diversité des professions, des espèces, des sorts et des monstres me fascinait. Je repris mon chapeau de maître de jeu pour être Dungeonmaster cette fois-ci, tenant séance chaque samedi, le plus souvent dans un proverbial sous-sol loin des rayons du soleil, assis avec des amis autour d’une table parsemée de livres, de feuilles et de dés.
Le lustre de ce jeu vénérable a cependant commencé à se ternir à mes yeux au fur et à mesure qu’évoluaient les personnages de mes joueurs. Si les livres de règles invitaient à la parcimonie dans le don de trésors et d’objets magiques, les aventures officielles en distribuaient à tout vent, de sorte que la puissance des personnages croissait de façon marquée. D’abords timides, les capacités magiques des lanceurs de sort devenaient imposantes et les guerriers, des machines de combat. La crainte et la fébrilité des joueurs devant l’adversité s’émoussaient en conséquence, tandis que la confiance et l’arrogance des personnages prenait du galon. Une armée se présente aux portes d’un village? Restons pénards, nos héros vont hacher menu la piétaille de niveau zéro au point d’en faire des monticules défensifs. Les lois locales interdisent une pratique que les héros souhaitent néanmoins s’autoriser? Aucun problème, ils peuvent manger les gardes au petit déjeuner s’ils s’interposent et tout autre troupe envoyée pour les saisir à la suite de ce nouvel affront subira le même sort. Une dracoliche se terre dans sa caverne? Il n’y a pas péril en la demeure, il suffit de lancer au préalable les sorts « enlarge » et « haste » sur le guerrier baraqué pour qu’il la passe à la moulinette, appuyé du mage et des autres membres du groupe qui sont loin d’avoir épuisé leurs ressources. Impossible de monter l’aiguille de la menace sans rompre avec tout semblant de cohérence et faire s’attrouper les créatures les plus redoutables là où les héros s’adonnent à se balader. Le spectre de cette surenchère et la désinvolture des personnages m’ont fait lorgner vers d’autres jeux.
À travers les années 1990 et le début des années 2000, j’ai butiné en tant que maître de jeu et joueuse entre Rolemaster, Pendragon, l’Appel de Cthulhu, Shadowrun, Rêve de dragon, Star Wars, Warhammer Fantasy, Vampire the Mascarade, Werewolf the Apocalypse et Mage The Ascension, sans compter l’expérience de grandeur nature. Puis les études de doctorat ont pris le pas. Les activités ludiques devenaient des sources de culpabilité, du temps précieux soutiré à l’avancement de la thèse. Mes amis, de leur côté, ont commencé à se ranger et à fonder une famille. Les jeux de rôles sont devenus des souvenirs nostalgiques d’adolescence et de jeune adulte.
L’eau a coulé sous les ponts. Jusqu’à ce que le hasard de la vie m’amène régulièrement à Berlin pendant près de six ans au milieu des années 2010. Pénétrant par curiosité dans une boutique de jeu près de la station Südstern, je vois une série de livres de belle facture sur une étagère. Ayant à ce point une bonne maîtrise de l’allemand, je perçois aussitôt : Das Schwarze Auge, l’Œil Noir! Contre toute attente, la gamme avait non seulement persisté, mais elle avait connu un plein essor dans sa terre natale. J’ai acheté deux livres par curiosité, hommage et attachement, en me disant tout de même qu’ils ne feraient qu’orner ma bibliothèque et y récolter leur dose de poussière. Coup de théâtre, j’apprends peu de temps après qu’une traduction en français se prépare pour la 5e édition. Je comprends ravie qu’il y a d’autres personnes comme moi, enthousiasmées par la renaissance de ce jeu.
Éventuellement, l’usure d’une dévotion au travail et de certaines conditions éprouvantes ont accordé leur bénédiction au retour de cette activité ludique. C’est la demande candide de ma compagne d’essayer cette fameuse 5e édition du jeu de l’Œil Noir dont je venais d’obtenir la version française qui a enclenché le processus. Mes amis, à qui j’ai mentionné ce qui devait être un simple essai, ont manifesté d’eux-mêmes leur vif intérêt à se joindre. La petite famille commençait à grandir et leur temps à se libérer légèrement. Eux aussi avaient besoin d’une soupape. Depuis trois ans maintenant, nous tenons régulièrement une séance à toutes les deux semaines. J’ai redécouvert avec eux le jeu qui a fait un bond colossal depuis ses débuts dans les années 1980.
Déjà par la lecture du Livre de règles et de l’Almanach aventurien en version française, j’entrevoyais un univers d’une grande richesse et profondeur. Mes connaissances de l’allemand me permettaient de le confirmer, étant en mesure de consulter les publications écrites, ainsi que le wikipedia entretenu par ses nombreux fans. Ce fut beaucoup d’apprentissage, mais peu était en soi requis. On découvre l’univers de l’Œil Noir comme on boit du vin ou comme on explore des mets. Il est possible de prendre plaisir d’une simple coupe et d’un repas chaud, comme il est possible, avec le temps et les connaissances qui s’améliorent dans le domaine, de relever de plus en plus de notes et de savourer la subtilité d’arômes. Nul besoin de submerger les joueurs d’un coup avec une série de connaissances fines. Celles-ci se développent avec le temps, par la force des choses. Les implications d’événements qui surviennent, ainsi que d’actions que les personnages non joueurs ou les personnages joueurs entreprennent pourront alors être envisagées avec plus d’acuité, ajoutant au plaisir du jeu.
Quelle ne fut pas ma grande joie, également, de renouer avec un jeu qui s’avère très équilibré. La balance du pouvoir correspond tout à fait à mes attentes en tant que maître de jeu. La progression des personnages a ceci de satisfaisant qu’elle est fréquente, qu’elle contient un grand nombre d’options et qu’elle est très flexible : augmentation d’une compétence générale ou de combat, d’une capacité spéciale générale ou de combat, acquisition d’un sort ou augmentation de sa compétence dans un sort ou dans une liturgie, sans compter l’ajout d’extensions ou de capacités spéciales magiques, divines et ainsi de suite. Toutefois, les héros n’atteindront pas de sommet où ils deviendront intouchables. Ils demeurent vulnérables en combat contre des adversaires relativement humbles, sans pour autant tomber au moindre coup d’épée. Une troupe de gardes ou des groupes de guerriers locaux constituent une menace à prendre au sérieux. Par conséquent, les personnages et les joueurs ne peuvent se moquer des coutumes, des normes et des lois locales. Cette dimension pouvant désormais s’imposer, elle ouvre la porte à du jeu de rôle d’autant plus riche : comment réagit chaque personnage à l’égard de telle coutume, de telle norme ou de telle loi? Quelles stratégies vont-ils développer pour agir en conséquence ou les contourner subtilement? Seront-ils d’accord les uns avec les autres? La culture a une pertinence dans l’Œil Noir et peut être dosée selon les préférences du groupe.
Il s’ensuit que les personnages ayant des compétences sociales élevées sont une ressource inestimable pour le groupe, tout autant que ceux qui savent bien manier une arme. Il n’est pas toujours possible de tout accomplir seul. On doit obtenir l’aide de personnes clés en parvenant à les convaincre. Les sorts et les liturgies, quant à eux, trouvent une juste mesure entre haute et basse fantaisie. On peut en accomplir plus d’un en une journée, mais pas abattre d’un trait une série d’adversaires. On peut conjurer une petite flamme comme un djinn de feu, mais le premier demandera moins d’énergie que le second. Devant toujours composer avec du risque, les personnages ne seront pas grisés par une puissance qui attise l’arrogance. Les joueurs seront toujours à même d’éprouver de la crainte pour leurs personnages, ce qui est particulièrement satisfaisant pour un maître de jeu. En contrepartie, les sorts plus humbles peuvent suffire à impressionner des adversaires, ceux-ci n’étant pas tous des vétérans blasés. Loin d’être des sacs à points d’expérience sur lesquels reposent la progression des personnages, la plupart de ces adversaires sont disposés à prendre la fuite et seront considérés vaincus s’ils le font.
Finalement, on invite les joueurs à arrimer leurs personnages à l’une des nombreuses cultures d’Aventurie. Il appartient à chacun de respecter ou non les profils, mais ceux-ci sont d’excellents points de départ à des interactions palpitantes entre joueurs et personnages non joueurs. Très tôt dans son histoire, l’Œil Noir a proposé des extensions régionales de même qu’une complexité aux ennemis traditionnels que sont les Orcs en élaborant sur leurs mythes, leurs croyances, leurs mœurs, de même que leurs différentes cultures, dépassant leur réduction à de la simple chair à épées. L’Œil Noir est loin d’être une simulation de combat médiéval rehaussée. Il se prête au jeu d’un rôle aux multiples facettes, au divertissement léger ou sérieux, aux combats fréquents ou occasionnels, de même qu’à l’excitation de la peur.
Cet univers sur lequel je n’ai que légèrement levé le voile parle beaucoup à la professeure de sociologie que je suis. Bien qu’il ne puisse jamais atteindre le degré de cohérence et de complexité de sociétés médiévales ou de la renaissance, la salutaire nécessité de divertissement l’emporte sur l’aride discipline d’une recréation fidèle. À coup sûr, je puise à fond dans le matériel de jeu pour offrir des informations contextuelles aux endroits qu’explorent les joueurs ainsi qu’aux personnages non-joueurs qu’ils rencontrent, tout en respectant le rythme de l’action. Les interactions colorées qui naissent entre les personnages et les rires de mes joueurs sont une véritable source de plaisir. L’Œil Noir a tous les ingrédients pour me plaire, que je peux mettre à ma main. Si ceci vous parle en tant que maître de jeu ou joueur, je vous invite très chaudement à découvrir le jeu.
- Dany40 le Fix
- ,
- Tybalt
- et
- Hamalf
Voilààà c'est toujours comme ça quand j'hésite à dépenser mon bel argent pour acheter du jeu de rôle...Y'a toujours un tentateur ou une tentatrice pour m'aider à justifier l'achat. C'est pas bien ce que tu fais là Janik.
Merci pour cette présentation qui m'a rappelé beaucoup de souvenirs (on est de la même génération visiblement ) et j'avoue que la mention de la socio en fin de post ça m'a achevé (on a le même cursus visiblement ).
Vas-y, cède à la tentation
Il y a une belle communauté ici et sur discord qui partage avec joie les informations sur le background. Je pense que nous avons en commun de savourer le potentiel qu'offre sa profondeur.
- Docdemers
Très belle présentation !
Une histoire très sympathique et qui met assez bien en lumière les qualités spécifiques de l'Oeil noir
A diffuser le plus largement possible
Un super texte. Vraiment. Inspiré, maîtrisé, érudit et cultivé.
Merci. Je vais essayer de le relayer si tu permets.
- Janik
Avec plaisir! Mon objectif est avant tout de promouvoir le jeu
Merci pour ce beau texte!
Belle plume que voilà, et passionnément exprimée, je dis bravo ! 🎉
J'ai cedé.. je suis content d'être faible et malheureux d'être pauvre 😅
- Docdemers
- et
- Helicon38
Console toi en te disant que tu as fait l'acquisition d'un jeu de rôles d'une très grande qualité !
Par curiosité, est-ce que tu es passé par la campagne de financement pour tes achats?
Tu n'es pas pauvre : Tu as investi. Ce n'est pas de l'argent que tu as perdu mais tu as acquis d'immenses et belles possibilités ludiques !
@Helicaon38 : Je le note " Tu n'es pas pauvre : Tu as investi", ça sera mon mantra pour mes futurs achats investissements
Superbe témoignage, Janik. Merci beaucoup !
Je ne craquerai pas. Je ne craquerai pas. Je ne craquerai pas. Je ne craquerai pas.
- Pandora
Je ne craquerai pas. Je ne craquerai pas. Je ne craquerai pas. Je ne craquerai pas.
Renfield
Mais si, mais si, voyons... Aie confiance, crois en nous... *musique de la scéne avec Kaa le serpent dans le livre de la jungle"
This paper belongs in the next Casus ! (C'était mon avis de personne pas du tout rédac' chef que personne ne m'avait demandé.) Ou sinon au moins sur le blog Mémoire de rôlistes...
Merci pour ce magnifique témoignage
Craque, tu ne le regretteras pas, si je devais garder 3 jdr dans ma bibliothèque, l'Oeil noir serait dedans.
C'est le genre d'avis qu'il faudrait mettre sur le Grog par exemple, parce que sur les groupes facebook ou les sujet en lien avec l'ON, forcément, les gens sont déjà au courant...
Evensnalgonel
Je crois que tu vas finir en maison de retraite dans le Sud-Ouest avec @Dany40 et moi. On a trop de jeu en commun et on n'aura que ça à faire